L’industrie brassicole est en continuelle évolution. Une des premières choses que je dis à quelqu’un que je souhaite initier à la bière de microbrasserie est qu’il faut aimer avec détachement. Qui de nous n’a jamais acheté une bière sans vraiment la connaître, l’a adoré et ne l’a pas revu sur les tablettes par la suite. C’est un monde qui a soif de nouveautés, de « release » et de vagues de popularité. C’est en partie pour ce dynamisme que j’adore le milieu brassicole. Mais est-ce que ces tendances et ces vagues de popularité sont des créations naturelles, ou sont-elles plutôt façonnées par les consommateurs ou même par les brasseries? Cette question est complexe et je crois qu’il existe une opinion unique à chaque individu concernant ces fameuses tendances.
Pour m’aider dans cette démarche réflexive, je me suis tourné vers quelques amis du monde brassicole. Tout d’abord, Marc-André Cordeiro-Lima et Guillaume Couraud, respectivement de la Brasserie du Bas-Canada et du Brewskey. Ces deux brasseries font énormément parler d’elles depuis les dernières années et on peut définitivement dire qu’elles bénéficient ces des tendances brassicoles actuelles (NEIPA, Smoothie et Pastry Stout). J’ai ensuite interviewé Alexandre Piluso de la nouvelle brasserie Lupulone afin d’avoir l’opinion d’une brasserie à ses débuts dans le domaine. Enfin, j’ai parlé à Shawn Duriez et Renaud Gouin de la Brasserie Avant-Garde, une brasserie qui a passé l’épreuve du temps et qui ne s’appuie pas particulièrement sur les tendances.
Est-ce que les tendances influencent la production des bières des microbrasseries?
Cette réponse peut sembler évidente, mais les nuances derrière les réponses que j’ai obtenues sont assez intéressantes. Ainsi, sans grande surprise, les représentants des brasseries consultés ont tous affirmé que les tendances avaient bel et bien une influence sur la production de bières. Aux yeux de Guillaume Couraud (Brewskey); « Même si elles sont parfois farfelues, les tendances sont toujours intéressantes, du moins à analyser! » Il indique également que suivre les tendances est tout à fait normal dans un marché d’offre et de demande et que la brasserie Brewskey se veut effectivement à l’écoute de sa clientèle. La brasserie continue à brasser ce qu’elle désire, des produits plus « traditionnels » par exemple, mais si les clients sont avides d’un style en particulier, cette demande sera entendue. Il y a une volonté d’être proactif. On ressent une pensée similaire dans les réponses de Marc-André Cordeiro-Lima (Bas-Canada). Il explique que les États-Unis ont une grande influence sur le marché brassicole québécois et que c’est souvent de là que les « nouvelles tendances » proviennent. L’attention portée à celles-ci n’est toutefois pas quelque chose qui est fait au quotidien. Ce n’est qu’un facteur de plus dans le processus de création des nouveaux produits. Bas-Canada tient à brasser ce qu’il aime/veut et ce qui fait plaisir à leur clientèle. Il est donc clair pour ces deux brasseries que le client est centrique dans la réponse des tendances.
Alexandre Piluso (Lupulone) approche la question un peu différemment. Bien qu’il maintienne que les tendances ont une influence sur sa production, il indique que le plus important est de produire des bières qui respectent l’essence (la signature) de la brasserie. Étant, une brasserie spécialisée en Lager, les NEIPA et Pastry Stout sont moins indiquées. Par contre, il est possible de produire des brassins plus populaires et inspirés de produits tendancieux, sans pour autant perdre de vue la signature Lager de la brasserie. Renaud Gouin (Avant-Garde) avoue que sa brasserie est influencée par les tendances, mais qu’au bout du compte; « Il faut que cela reste de la bière. » La balance est au cœur de sa réponse et selon lui, il peut être tout à fait sain d’aller à l’encontre des tendances par moment. C’est d’ailleurs dans cette optique que la Mr. Brown (leur Brown Ale) a été développée et a connu son succès.
Qui sont ceux qui mettent les tendances en branle? Brasseries ou consommateurs?
L’instigation d’une tendance est complexe. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, mais un de ces facteurs, que Bas-Canada et Brewskey avancent de front commun, est la compétition brassicole. Alors que le bassin de consommateurs semble réceptif à tout type de recette, un acteur du milieu peut produire une bière plus « flyée » et très différente de ce qui existe déjà sur le marché québécois et, selon Marc-André de Bas-Canada et Alexandre de Lupulone, ce produit est souvent inspiré d’une tendance existante aux États-Unis. Suite à la réaction du consommateur sur ce produit en vogue, les autres brasseries chercheront à rester compétitives en proposant une bière du même genre, tout en évitant de copier le produit existant et en offrant idéalement quelque chose de meilleur. Ainsi, le début d’une tendance est définitivement le résultat d’une saine compétition entre les brasseries, agrémentée de la volonté d’innovation de ces dernières.
En ce qui concerne la pérennité d’une tendance dans le temps, c’est là que le consommateur intervient. Alexandre de Lupulone décrit l’influence du consommateur vis-à-vis les tendances comme suit : « Concrètement, les consommateurs agissent comme baromètre d’une tendance et indiquent si elle doit perdurer ou non. » Les autres brasseries semblent en accord avec cette description. Si un produit est bien reçu, d’autres produits similaires seront développés en conséquence. Donc en tant que consommateur, il est important de se faire entendre et faire véhiculer son appréciation (ou sa déception) vis-à-vis les bières tendancieuses produites.
Est-ce que les brasseries devraient suivre les tendances?
Il est clair que les tendances brassicoles offrent des avantages au niveau de la mise en marché et sur le niveau de compétitivité de la brasserie. Mais plutôt que de suivre une tendance existante, devrions-nous essayer d’en créer une nouvelle avec un produit jamais fait auparavant? Selon Marc-André (Bas-Canada) et Guillaume (Brewskey), suivre les tendances permets de rester compétitif et il est primordial d’être à l’écoute de la clientèle afin de savoir ce qu’elle désire boire. Guillaume pousse plus loin et mentionne que « Brasser la nouvelle tendance n’est pas une chose facile. C’est un risque à prendre, car on n’est jamais certain de comment la clientèle va réagir. » Pour Alexandre (Lupulone), les tendances méritent d’être suivies pour leur contribution à la créativité de nouveaux produits. Ainsi, étant spécialisé dans un style en particulier (Lager), Lupulone s’inspire des produits tendancieux sans vraiment en produire. Pour Renaud (Avant-Garde), les tendances sont également une excellente source d’innovation pour les brasseries. Les consommateurs désirant de plus en plus cette expérience nouvelle, cela devient une opportunité pour les brasseries d’essayer de nouvelles techniques et styles.
Qu’en est-il des nouvelles brasseries? Devraient-elles suivre les tendances dès leurs débuts? Selon Guillaume (Brewskey), il est assez difficile pour une brasserie de se lancer sans brasser une IPA/NEIPA afin d’attirer l’attention du public. Cependant, il est important selon lui de se distinguer en tant que brasseur et de se développer une signature. Marc-André (Bas-Canada) a un discours similaire, mais souligne qu’il est important de tenir compte de l’aspect financier qui s’y rattache. Ainsi, suivre les tendances est selon lui une bonne manière de survivre financièrement dès le début. Toutefois, les produits « non-tendancieux » sont tout autant essentiels selon lui, car ils permettent de développer la signature de la brasserie et de montrer comment la brasserie se différencie des autres.
L’argument de la signature brassicole est au centre du discours de notre ambassadeur de la nouvelle brasserie Lupulone, Alexandre Piluso : « C’est un non-sens pour nous d’entrevoir la possibilité d’arriver à un produit final de qualité en élaborant des produits qui ne nous plaisent pas. C’est donc en respectant nos convictions que nous orientons les recettes de nos produits. » Renaud (Avant-Garde) est lui aussi convaincu que les brasseries devraient créer ce qu’elles aiment faire et affirme que c’est d’ailleurs ce qui fait la beauté de la scène brassicole québécoise.
La prochaine tendance, c’est quoi?
On sait tous que le milieu brassicole est en constante évolution. Il est peut-être même difficile de s’y retrouver ou de prédire la direction vers laquelle il va progresser. Mais qu’en pensent nos intervenants? Que voient-ils se dessiner comme la prochaine tendance? Selon Marc-André (Bas-Canada), on devrait s’attendre à une emphase sur les Pastry Stout dans les prochaines années et plus spécifiquement un perfectionnement dans leurs conceptions. Les Lager semblent aussi la voie de l’avenir selon lui. Alexandre (Lupulone) quant-à-lui, penche aussi vers un retour des styles européens. Il croit toutefois que les Seltzer (eaux pétillantes aromatisées et alcoolisées) vont devenir plus prévalentes. Les IPA ont évidemment la cote auprès des consommateurs.
Selon Renaud (Avant-Garde), l’innovation dans le futur risque d’être plus difficile parce qu’il juge que les styles et sous-styles ont déjà été explorés en profondeur. Il penche donc plus sur une augmentation de la qualité des styles déjà populaires (IPA, bière fruitée, Pastry Stout). Guillaume (Brewskey) s’accorde avec Marc-André (Bas-Canada) à propos des Pastry Stout et mentionne que les styles populaires aux États-Unis sont à surveiller, car on s’en inspire souvent au Québec. Il ajoute également que selon lui les bières sans alcool vont certainement connaître une montée en popularité.
On sent dans la réponse de nos intervenants une diversité qui fait plaisir. La scène brassicole est un monde en constant changement et c’est ce qui fait sa beauté. Même si les tendances semblent bien positives pour les brasseries, on peut entrevoir que le marché restera diversifié. Et vous, que pensez-vous des tendances qui s’annoncent?
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